Fortune critique 1950-1959

Pierre DESCARGUES, Arts, 10 mars 1950

Depuis sa dernière exposition, le jeune peintre espagnol a réalisé de considérables progrès. On découvre tout de suite, en regardant son nu, ses personnages et son paysage, la dualité de son tempérament. Mentor est brutal et tendre à la fois. Il aime l’ordonnance claire et nette de son paysage, la manière dont un « cabannon » provençal se réduit à un cube tout simple. Et puis il aime aussi la façon qu’ont le vent, le soleil, la chaleur, de passer à travers les arbres et là il évoque une explosion de brouillard de couleurs. Il en sera de même pour tel portrait très architecturé, cerné, fixé sur la toile et d’une délicatesse rare en lui-même, à l’intérieur de cette « mise en place ».
L’étonnant de cette peinture c’est bien son unité. Celle-ci se réalise dans la fougueuse passion qui anime tout le tableau. Plus tard, sans doute, Mentor possédera un métier plus complet, un esprit plus stable.. Il atteindra à l’équilibre d’une manière très naturelle. Mais sa violence, capable d’attendrissement, est attirante, émouvante. On sent la présence virile d’un peintre vigoureux dans ces tableaux. C’est rare.

Pierre DESCARGUES, Les Lettres Françaises, 6 mars 1952

Nos lecteurs se souviennent sans doute du dessin de Mentor Blasco, que nous avons publié la semaine dernière. S’ils l’ont remarqué, faut-il encore leur dire la qualité générale de l’exposition que ce « bélier » laissait bien deviner ? Les portraits, les paysages, les études d’animaux qu’expose ce jeune peintre espagnol constituent dans son œuvre un moment d’importance. A se passionner pour la réalité, à vouloir la saisir, Blasco n’a pas renoncé à son style. Dans ses études les plus poussées, il travaille comme un sculpteur, cherchant le volume, le faisant puissant grâce à une intelligente déformation. Quant il traduit un paysage, il est plus libre : le trait court avec élégance sur le papier, marquant soudain, par un signe, la force de l’émotion, le goût de la vigueur.
Mentor prépare une exposition de ses peintures. Nous l’attendons avec curiosité.

George BESSON, Ce soir, 7 mars 1952

Une révélation, c’est la trentaine de dessins exposés par M. Mentor Blasco au Club de la Publicité (27 bis, avenue de Villiers). Il est étonnant qu’aucun éditeur n’ait encore confié à cet artiste l’illustration de quelque grand texte. Sa technique le destine à ce genre de collaboration qui exclut tout barbouillage. Qu’il saisisse sur le vif, et sans repentirs, un couple de cyclistes ou de lutteurs, quelques moutons ou brebis et béliers, qu’il fasse un portrait avec une autorité digne de certains maîtres, son trait a un style sculptural d’une vigueur vraiment singulière. Qu’il transpose à l’atelier l’arabesque de ses instantanés pour en faire des compositions modelées avec un très sens très sûr de l’anatomie, ses dessins gagnent encore en puissance monumentale. Il y a peu d’exemples, en France, d’un pareil savoir exempt de toute fâcheuse virtuosité.

George BESSON, Préface à l’exposition dans la « Galerie de l’Elysée » , Paris, février 1953

C’est par une exposition de dessins, Avenue de Villiers, que M. Mentor Blasco se révéla naguère au public parisien. Les hommes sensibles à la magie du langage que peut être le dessin se devrait de prédire une carrière heureuse à ce Catalan modeste qui parvenait à figurer, avec tant de décision et de sensibilité, hommes et bêtes dans leurs aspects essentiels. On retrouve en cette exposition d’exemplaires spécimens en blanc et noir de cet art qui, plus que tout autre, est opération de l’esprit et don de soi. La transformation mystérieuse de l’objet en signes expressifs au cours de l’interprétation, le développement nuancé de l’arabesque qui fixe le mouvement et révèle la vie ont toujours été le souci premier de M . Mentor Blasco. Il a sut trouver, comme les vrais artistes de tous les temps, le dessin particulier qui convenait exactement à la peinture.
Les tableaux présentés à la Galerie de l’Elysée en apportent le témoignage. Ils sont en général l’évocation de visages et de scènes rurales dont le peintre fut le témoin dans une région du Var des terres à peu près préservées de l’invasion touristique. Des petites gens de ce pays, de leur négoce, des menus objets de leur logis, de leur horizon familier, M. Mentor Blasco a fait la synthèse de tels paysages ou de tel modeste intérieur, mais le plus souvent, il a demandé à l’homme d’être le prétexte de compositions dans lesquelles la réalité précaire de l’anecdote et de l’accidentel se transforme et s’ordonne pour atteindre au permanent et au style. Aussi les jeux de ce peintre avec la nature semblent-ils se limiter à des croquis. C’est affranchi de la servitude du motif refroidissant qu’il développe ses sensations plus soucieux de vraisemblance que de stricte vérité pour faire peut-être siennes les paroles de Van Gogh : « Quiconque veut imiter la nature échoue et gaspille ses efforts. Quiconque recrée avec ses propres souvenirs sent la nature le suivre et l’approuver. On croit que j’imagine, ce n’est pas vrai. Je me souviens ».
Il y a un mois, je ne connaissais pas une seule toile de ce peintre. Et me voici impatient de constater le développement de cette peinture réaliste à ambition décorative, intelligente, volontaire et si peu esclave des tics d’époque qui veulent signifier l’audace. Je ne suis pas gêné dans ces tableaux de chevalet dont plusieurs évoquent des éléments de fresque, ni par ce qu’ils ont d’un peu figé, de presque hiératique dans les attitudes de leurs personnages. Je ne suis pas gêné non plus par les libertés prises avec la perspective, ce qui après tout est un délit, ni très nouveau, ni très personnel. Et je m’étonne d’accepter si aisément ce qu’il y a d’austère dans toutes ces toiles. De provisoirement austère, faudrait-il dire. Car si M. Mentor Blasco renonce, en cette époque de sa production, aux séductions aguichantes de la couleur qui, chez certains ne sont que ruses pour se tirer d’embarras, s’il couvre ses toiles de terres diverse modulées peu propices à un choc sensoriel, son évolution est inévitable vers une plus exaltante richesse chromatique. Chacun fait les gammes préliminaires qui lui paraissent les plus profitables : Ainsi Bonnard, dont les boues irisées de 1900 annonçaient la polyphonie colorée des années suivantes, ainsi Gromaire à la veille d’oublier la sévérité picturale de ses débuts. Il se peut que l’on reproche à M. Mentor Blasco ses relations de trop bon voisinage avec la réalité. Par le temps qui court…, on ne sait jamais. Il se peut que l’on voit en lui une de ces vieilles barbes anachroniques qui n’osent braver les foudres des bien-pensants par quelque délit pictural. Il se peut… Je n’irai pas jusqu’à dire avec Jacques Offenbach que M. Mentor Blasco « grandira parce qu’il est espagnol ». On ne peut jamais dire. Mais, dès aujourd’hui, il prend sa place parmi la vingtaine de jeunes peintres qui, soucieux de marquer une pause dans les expériences chromatiques souvent gratuites, entendent réagir contre une suspicion d’ignorance, d’impuissance et de propension à la facilité.

Pierre DESCARGUES, Les Lettres Françaises, février 1953

Ce qui captive le spectateur, dans cette peinture, n’est-ce pas surtout la douceur, l’amour pour l’homme et sa vie qui s’en dégagent ? On se laisse tout de suite prendre à cette chaleur humaine qui irradie des visages, des personnages au milieu leurs animaux familiers qui, comme dans les fresques narratives, les entourent de tous côtés et dans tous les sens. Puis on vibre avec le peintre devant ces chauds paysages du Var que le soleil et les mouvements de terrain construisent si solidement et c’est un plaisir que de vivre dans le pays de Mentor Blasco, avec les femmes au marché, les porteuses d’eau à la fontaine, les bêtes amicales et les fruits savoureux, dans ce pays d’une sage et profonde gentillesse, où tout est humainement beau.

Christine DE RIVOYRE, Le Monde, 13 février 1953

Le peintre Mentor a pieusement conservé la leçon d’austère poésie que lui a donné son Espagne natale. Prisonnières d’une pâte rugueuse, farouche, ses natures mortes, comme ses arbres, comme ses personnages figés devant des étals, comme ses fruits, ont l’air d’avoir été pétris dans la poussière rouge et brune des sierras. De superbes dessins pleins de relief font surgir du blanc impénétrable de la feuille au taureau noir comme la fonte, ou la stature imposante d’une femme faisant la cueillette des fruits.

Jean CHABANON, Le Peintre, 15 février 1953

Les dessins de Mentor sont magnifiques. Cet artiste exalte les sujets qu’il choisit. Il les fait siens sans avoir recours à une écriture aguichante. Il façonne ses noirs et blancs comme le sculpteur fait surgir de la pierre les formes qu’il conquiert. Sa plume est un stylet. La masse du modèle est déterminée par l’arabesque nuancée et essentielle. Ses contours sont simples et nets.
Les tableaux de Mentor sont maçonnés. La peinture s’agrippe sur les rudes aspérités d’un support rugueux. Le travail de la main est lisible. La conduite de l’ouvrage est sans secret. Mentor ne joue pas à l’audacieux. Il est franc.
C’est tout près de la réalité qu’il recrée (il ne copie pas, beaucoup s’en faut), qu’est situé son domaine.

Arts, février 1953

On avait remarqué une première exposition de dessins. Nous en retrouvons aujourd’hui quelques-uns et leur style caractéristique, souligné par la netteté du noir et du blanc, est pour nous une introduction à la peinture de Mentor. Le modelé puissant des taureaux, les oliviers nerveux et doux dénotent l’intelligence d’une technique qui accorde les moyens au sujet. Contraste entre une forme simple et des valeurs étudiées : noirs d’une plume aigüe, gris d’un trait de crayon. Parallèlement, on appréciera dans ces toiles les lignes nettes d’une composition qui domine les objets tout en respectant leurs formes. La couleur volontairement sobre apporte un élément d’austérité qui fait la qualité des natures mortes et des paysages. Plusieurs compositions toutefois ne sont pas dégagées d’une certaine lourdeur.

Herald Tribune, New York - Édition européenne - 20 février 1953

Mentor’s paintings, at the Galerie de l’Elysée, 69 Rue du Faubourg Saint-Honoré, are accomplished, in the most professional sense. Heavily archit ectonic, the landscapes reveal a thorough knowledge of Cubist principes, while te figure-paintings owe something to Léger, the Mexican muralists and Michelangelo’s frescoes. M. Mentor relies largely on earth tones to confirm the strength of his pieces, and within the range of his efforts, he creates impressive structures. In fact, the predomonant quality of the work is monumentality, although there are no really large paintings in the show.
His black and white drawings, mostly of bulls ans peasants, are expert in execution and economical in design, but lack the interest of the oils. There is strong fresco quality throughout the exhibit (Until Feb. 28).

Les peintures de Mentor à la Galerie de l’Elysée, 69 rue du Faubourg Saint-Honoré, sont parfaites du point de vue professionnel. Fortement architectoniques, les paysages révèlent une profonde connaissance des principes cubistes, tandis que la « figure » doit quelque chose à Léger, aux peintures murales mexicaines et aux fresques de Michel Ange. Mentor compte beaucoup sur les tons terreux pour confirmer la force de ses œuvres et de ses efforts naît de grandioses structures. En effet, la qualité prédominante de l’œuvre, c’est son caractère monumental bien qu’il n’y ait pas de grandes toiles dans l’exposition.
Ses dessins en noir et blanc, représentant le plus souvent des taureaux et des paysans sont d’une exécution adroite et sobre, mais n’ont pas l’intérêt des huiles. Il y a une forte qualité de fresque dans tout ce qu’il expose. (Jusqu'au 28 février)

George BESSON, Préface à l’exposition dans le Musée des Beaux Arts de Mulhouse, décembre 1953

Il serait exagéré de prétendre que l’exposition de peintures et dessins de Mentor à la Galerie de l’Elysée, en février 1953, fut un événement parisien. Mais il est certain qu’un inconnu, par la nouveauté de son apport, força l’attention du public et de ceux qui prétendent à son éducation.
Mentor se fit remarquer, non par une soumission aux tics d’époque et par de volontaires délits picturaux qui sont, en général, l’alibi des impuissants, mais par la transcription de ses sensations en éléments plastiques extrêmement personnels.
Pour une fois, un jeune artiste ne simulait pas la fraîcheur de vision d’un Pierre Bonnard. Il ne se parait pas de vieux chandails chippés à Picasso. Il n’était ni abstrait, ni néo-réaliste. Il était lui-même. Il était Mentor. Et peintre sans subterfuges.
Les tableaux de Mentor ont le plus souvent pour sujets des scènes rurales dont le peintre est, l’été, le témoin dans cette région du Var des terres qui va de Brignoles et de l’oasis de Méounes aux abords de Toulon par la succession des Solliès : Solliès … Toucas … Pont … Ville… où la vigne et la cendre verte des oliviers font, aux gestes des hommes, un décor d’une rare distinction. Des petites gens de ce pays, de leur négoce et de leurs récoltes, de leur modeste logis et de leur horizon familier, Mentor fait des compositions dépouillées de la réalité précaire de l’anecdote et du pittoresque. D’où un style qui serait moins particulier, peut-être, si Mentor, avant d’attendre à la notoriété comme peintre, n’avait été le dessinateur expressif dont les œuvres en blanc et noir lui valurent ses premiers succès et, récemment, la plus haute récompense accordée à cette forme d’art.
« Pourvu que cela dure… » disaient certains oracles parisiens, après avoir rendu hommage au talent de mentor. Bien sûr, on ne sait jamais. Il y a, il y eut toujours des virages dangereux dans la création artistique, dans la course à la gloire ou au compte en banque. Et dans ce genre d’exercices, « les fruits ne passent pas toujours les promesses des fleurs », sinon il y aurait plus de peintres originaux en une génération, que de jours en un mois. Mais en ce qui concerne Mentor, que les inquiets soient rassurés. La complicité du plasticien et du coloriste et aussi le bon sens et la culture de ce Catalan, si chaleureusement intégré dans la vie française, ne laissent aucun doute sur le sens de son évolution.
Je n’irai pas comme certains Parisiens devant les œuvres de Mentor siffloter, un air de Jacques Offenbach : « Il grandira… il grandira… car il est Espagnol… ». Un tel hommage ne peut qu’être sensible à l’intéressé comme à ceux qui croient à ses dons et à son avenir. Mais soyons sérieux. Il est tellement plus simple et plus convaincant de confronter les peintures de 1952 avec celles exécutées ces derniers mois. Mentor y administre la preuve de son hostilité aux renouvellements factices autant qu’à la stagnation, même si elle doit être l’exploitation fructueuse d’un succès.
Dans toutes ses compositions apparaît la même volonté de dégager du chaos des formes la grandeur simple de ce qui dure. Hier, ses compositions faisaient penser, par leur ordonnance et leur facture, à des morceaux choisis de fresques dans lesquelles le peintre s’était limité à des combinaisons chromatiques où prédominaient les tons gris perle, havane clair et pain brûlé, assortis de verts éteints et de vieux roses d’une extrême finesse. Aujourd’hui, sans s’abandonner au dévergondage, tube contre palette, des tons purs dont la pratique, chez les débiles, est souvent un attrape-nigaud, Mentor se rappelle que la couleur est le propre de la peinture et s’achemine avec une louable prudence vers des harmonies de sonorité plus intense où sont conciliés les problèmes des tons et des valeurs.
De quoi permettre d’espérer d’autres enrichissements. Et le Musée de Mulhouse qui fut souvent, ces dernière années, grâce à quelques maîtres, le conservatoire des bonnes manières picturales et plastiques, pourra, espérons-le, s’enorgueillir d’avoir accueilli un de ces jeunes hommes que leurs mérites désignent pour assurer la relève de leurs aînés.

George BESSON, Les Lettres Françaises, 17 décembre 1953

Le Musée de Mulhouse ne ressemble pas autres musées de France. S’il a un Comité directeur, il n’a pas de conservateur et lorsqu’il se mêle d’organiser des expositions, ce furent des rétrospectives que, seuls, les grands musées nationaux peuvent se permettre.
Après avoir présenté aux Alsaciens des ensembles de quelques vétérans : Bonnard, Marquet, Rouault, Lehman, Jean Puy… et révélé leurs cadets : Walch, Lotiron, Desnoyer… ne voilà-t-il pas que le musée de Mulhouse qui, vraiment, n’est pas comme les autres, décide de faire connaître les œuvres fraîchement peintes du Catalan de Barcelone et du Xe arrondissement de Paris : Mentor Blasco.
Mentor ? Eh oui, Mentor. Il se peut que le nom de Mentor ne figure pas encore dans l’aide-mémoire des boursicoteurs des valeurs picturales. Et après ?...
Vers 1947, Pierre Descargues présenta chez Altariba la première exposition de Mentor et, en février 1953, le même Mentor se fit remarquer à la Galerie de l’Elysée par une manière de prendre des libertés avec la nature qui n’étaient pas de mauvaises manières. Pour une fois un jeune artiste ne simulait pas la fraîcheur de vision d’un Bonnard. Il montrait qu’il n’avait pas fait les poches de Picasso. Il était Mentor.
« Pourvu que cela dure… » disaient certains oracles parisiens, après avoir rendu hommage au talent singulier de mentor. Bien sûr, on ne sait jamais. Il y a, il y eut toujours des virages dangereux dans la création artistique, dans la course à la gloire ou au compte en banque. Et, dans ce genre d’exercices, « les fruits ne passent pas toujours les promesses des fleurs », sinon, il y aurait plus de peintres originaux par génération, que de jours en un mois.
Les tableaux de mentor ont pour sujets des scènes rurales dont le peintre est, l’été, le témoin dans les régions du Var, des terres qui vont de Brignoles aux abords de Toulon, où la vigne et la cendre verte des oliviers font aux gestes des hommes un décor d’une rare distinction. Des petites gens du pays de Solliès-Toucas, de leur négoce et de leurs récoltes, de leur logis et de leur horizon familier, Mentor fait des compositions dépouillées de la réalité précaire de l’anecdote et du pittoresque. D’où un style où apparaît la volonté de dégager du chaos des formes la grandeur simple de ce qui dure. Naguère, ces compositions faisaient penser, par leur ordonnance et leur facture, à des morceaux choisis de fresques dans lesquelles le peintre s’était limité à des combinaisons de tons d’une extrême finesse, mais plutôt austère. Aujourd’hui, sans s’abandonner au vagabondage, tube contre palette, des tons purs dont la pratique, chez les débiles est souvent un attrape-nigauds, Mentor se rappelle que la couleur est le propre de la peinture et s’achemine avec une louable prudence vers des harmonies de sonorités plus intenses.
De quoi permettre de prévoir d’autres enrichissements.

WALDEMAR-GEORGE, Préface à l'exposition Galerie Carlier, novembre 1959

Les thèses que traite Mentor ne livrent pas la clef de son art à perspectives multiples. Ce Madrilène de l’Ecole de Paris a subi l’attraction de la peinture française, mais n’a pas abdiqué sa vocation première. Si, dans ses paysages et ses scènes de la vie silencieuse une couleur incarnée transmet directement les sensations de vie, si ses fleurs communiquent l’allégresse, si ses fruits pesants sont riches de sève, son cirque fabuleux, ses figures immobiles et ses étranges intérieurs animés révèlent sa filiation ethnique et spirituelle. Le goût de la féerie et le sentiment de la réalité coexistent dans son œuvre. La réalité est sciemment transgressée. Si spontané soit-il, l’artiste dont nous parlons est un constructeur d’objets de poésie et d’images animés dans lesquels resurgissent les fantôme lointains des déesses-mères de la préhistoire, de la Dame d’Elché, cette idole ibérique parée comme une madone de Pasos sévillans, les Vierges des fresques romanes de Catalogne et les naïves enseignes de boutiquiers qui sont les points de mire du folklore espagnol. Les Bestiaires de Mentor et ses Ménageries trahissent les sources populaires de son art. Il paraphrase ces décors chimériques et ces toiles de fond des fêtes foraines qui achèvent parfois leur laborieux périple dans les salles des musées. Peintre attaché aux apparences sensibles, Mentor les envisage comme une matière première et un vocabulaire auquel il emprunte les termes de son langage. Sa magie fait éclater le cadre d’un art assujetti aux règles de la logique. Son magnétisme est lié à ce phénomène en tous points contraire aux lois de la nature qu’est le merveilleux de la vie quotidienne. Son métier porte la marque d’un ouvrier manuel en pleine possession de ses moyens techniques.
Chaque tableau de Mentor forme un tout : un ensemble parfaitement homogène. Le sable moite d’une plage et le nu opulent d’une baigneuse aux jambes massives comme des fûts de colonnes, sont faits de la même pâte et de la même substance. La courbe molle d’une épaule de jeune femme et la forme arrondie d’un dossier de fauteuil s’accordent et s’hharmnisent. Elles font partie du même système plastique et sont pliées à la même eurythmie. Mentor crée un monde de lignes et de couleurs qui sont, avant tout, des nourritures terrestres, mais qui peuvent satisfaire notre secret d’évasion.

H. GABY-CARLÈS, Journal de l'amateur d'art, 25 novembre 1959

Il y a chez Blasco Mentor un certain balancement entre la force instinctive et l’acquisition spirituelle, ce qui confère à sa peinture une poésie toute charnelle et heureuse. La chaleur de son rouge dominant fait éclater la rigueur de ses visages immobiles, des volumes géométriques empruntés à Gromaire et à Léger. La banalité des thèmes : fêtes, cirque, paysages, fleurs et jeunes femmes se fait oublier devant l’embrasement de Mentor pour les joies les plus simples : celles de la couleur et de la vie.

D'ARTHEZ, Le génie médical, novembre 1959

Mentor est ce jeune peintre espagnol épris des formes amples et riches, héritier des Maîtres ibériques, puisque, comme eux, il se plaît à prélever dans la réalité des portraits accablés de réalisme, des scènes intimes, des paysages bruissants de lumière ou de grands bouquets serrés à l’efflorescence damasquinée, rechaussés par une féerie rayonnante.
Œuvres majestueuses, dans lesquelles la touche, pétrie de couleurs rares, irradie sur des fonds rouges carminés, animée par une sorte de feu secret, grand souffle chaud qui vous saute au visage comme une bouffée de joie. Mentor, avec cette nouvelle exposition, s’est efforcé d’alléger ses compositions par des sonorités chatoyantes, son clavier chromatique est à présent au point d’orgue ; ce qui l’autorise à traiter tous ses sujets dans un style hautain, enrichi par un chromatisme fastueux.

Jean CHABANON, Le Peintre, 15 novembre 1959

Blasco Mentor est un peintre lucide. Vivant à Paris, il n’a point rompu avec la tradition de son pays natal, l’Espagne. Réaliste, il idéalise son modèle même lorsqu’il en multiplie le caractère dans une forme pleine et comme primitive. Il est capable de donner la majesté au grotesque, tout en mêlant l’ironie au sérieux.
Une palette détaché du soleil, et une tamise un voile d’une qualité rare, s’accorde parfaitement avec un langage graphique dit sous le ton de la confidence. Voilà un art d’un équilibre total et dont le style ne provient point d’une manière. C’est une bien belle exposition.

Jean BARDIOT, Le Peintre, 19 novembre 1959

C’est un Catalan, au visage glabre assailli de tous côtés par une tignasse sauvage et crêpelé. La dignité toujours un peu triste de sa race lui donne une gravité qui cède très vite à l’amitié. Alors il devient d’une gaieté toute méridionale.
En décidant de fuir son pays écrasé par des siècles d’une foi obsédante, Mentor s’est arrêté à Solliès. Il y épousa à la fois sa femme, le village ravissant, et la France qu’il découvrait. Elle lui apparut, m’a-t-il dit, comme une fillette couverte de fossettes et de sourires et qui venait à sa rencontre, portant dans ses menottes potelées un bouquet plus gros qu’elle. Ce bouquet, vous le verrez à son exposition. Il sort de son vase comme un buisson fait de milliers de touches où comme un buisson fait de milliers et de milliers de touches où palpitent, vibrent et chatoient toutes les couleurs de nos jardins. Si Mentor était resté à Barcelone, il aurait une palette où le noir dominant évoquerait les sombres délices de la mort, compagnonne mystique de l’Espagne. Il peint aujourd’hui avec une palette fleurie où il n’y aura que les couleurs de la joie. Les toiles de Mentor sont des remerciements éperdus au soleil, à la flore de nos champs, aux femmes de chez nous qui sont libres et tièdes comme des colombes. Toute sa peinture chante les bonheurs simples de notre vie méridionale. C’est l’éblouissement de l’artiste au contact d’un pays qui a transformé à la fois sa conception des choses et sa peinture. Seul un Espagnol échappé aux refoulements et aux contraintes castillanes pouvait rendre cet hommage explosif à la gentillesse multiforme de notre peuple.
Mentor est avant tout le peintre des euphories quotidiennes. C’est le chroniqueur savoureux des plaisirs les plus simples, ceux que goûtent au bord de la plus aimable des mers les foules accourues pour prendre part à la fête ininterrompue des trompettes en commun et des beuveries collectives.
Regardez les femmes de Mentor. Ce ne sont pas des pécheresses que la foi jette à genoux sur les pavés des églises espagnoles, les bras en croix. Ce sont de beaux fruits sains et pulpeux, troués de fossettes nacrées. Les plages de Mentor sont dallées de baigneuses.
Sa peinture a faim de jeunes corps et de côtelettes. Cela se sent à la salacité avec laquelle il peint les pétales charnus de ses fleurs et les chairs en fleur de ses modèles.
Surtout ce petit peuple débraillé, suant, anisé, règne une « presidenta » opulente, assise gravement sur son siège de bambou vert. C’est une divinité aux yeux noirs, une Junon plébéienne, qui est l’ordonnatrice de ce perpétuel quatorze juillet balnéaire et limonadier. Mentor évolue avec aisance dans cette ripopée méridionale qui fleure le pastis opalescent et les parfums ammoniacaux du cirque.
Mais ce n’est pas tout Mentor. Certes, j’aime ses hymnes à la fécondité des jardins, j’aime ses poneys ronds et puissants, ses fauves, ses clowns et ses bacchanales méditerranéennes, ses dompteuses. J’aime l’atmosphère.
Mais, le Mentor intimiste, le Mentor tendre, n’est pas moins attachant. Sa jeune fille au corsage roumain est une symphonie de roses. Et vous vous demanderez comment, avec les couleurs de tout le monde, il arrive à ce ton nourri de lumière qui n’est plus un rose et qui n’est pas encore un rouge.
La nouvelle École de Paris comporte, tout comme l’ancienne, des espagnols brillants, fantasques et savoureux. Mentor doit s’y faire une place de choix. Il faut le féliciter de n’avoir point cédé à l’influence tyrannisante de Picasso qui règne en maître sur sa cour espagnole. C’est un hommage que je tiens à rendre à la personnalité originale de Mentor.

Jean ROLLIN, L’Humanité, 17 décembre 1959

À la récente exposition des œuvres de Blasco Mentor, Galerie Carlier, des peintres sont venus, puis revenus deux fois, trois fois. L’un d’eux confiait : « La réussite d’un confrère attriste toujours, car on voudrait pouvoir faire aussi bien ; je me sens triste… »
Dans son atelier de la rue de la Grange-aux-Belles, dont les fenêtres s’ouvrent sur la Maison des Syndicats, Mentor inventorie les tableaux rapportés de son exposition. « Bien sûr, lance-t-il, des gens aiment ma peinture. Mais comme leur nombre reste infime par rapport au vaste public que je voudrais émouvoir ! Ah, si j’avais des murs à peindre, je dirais comme Fran Angelico : donnez-moi à manger, habillez-moi et laissez-moi faire le reste. »
Pour Mentor, Catalan chassé de son pays par le fascisme, la fonction sociale de l’art est une préoccupation majeure : « Dans quel but peignons-nous, sinon pour révéler la beauté au plus grand nombre ? Le défaut essentiel de la peinture abstraite n’est-il pas de rester un art de chapelle ? On nous répète qu’il faut permettre aux gens de rêver. Mais s’il ne s’agissait que de cela, autant laisser la toile blanche - les amateurs pourraient rêver tout à leur aise. » Loin de la nature, loin des hommes et de ce qui fait la réalité de leur existence, l’œuvre du peintre risque de ne plus être comprise que de lui-même. Or le vaste public invoqué par Mentor, que souhaite-t-il trouver dans l’art ? Quelque chose qui le concerne. « Quand je parle de moi, je vous parle de vous », ce vers de Victor Hugo, Mentor pourrait le reprendre à son compte. Qu’il montre les couples en liesse d’un 14 juillet, une fête foraine, des baigneurs sur une plage ou une corrida, nous nous identifions sans peine à l’action représentée, chaque personnage est pour nous comme une vieille connaissance. La familiarité du sujet, loin d’engendrer des images banales, facilite au contraire cette prise de contact. Il n’en serait pas de même si les sentiments exprimés dans les toiles de Mentor n’affirmaient, la réceptivité chaleureuse, la réflexion profonde grâce auxquelles l’artiste les a d’abord éprouvés. Les portraits, les fleurs, les animaux (les chevaux… Mentor révère Géricault presque autant que Goya) reflètent une vie souvent mystérieuse ; une sorte de rayonnement intérieur multiplié par les gemmes de couleurs précieusement travaillées en émane. Mentor suscite une atmosphère ardente et veloutée où la chair des femmes a la lueur de bronze, où les filles ont des regards d’infante.