Fortune critique 1970-1979

Armand LANOUX, Journal d'Artcurial, 26 septembre 1975

SANG ET OR
Blasco Mentor est un catalan de Barcelone comme sa sœur, la Santa Espina, la reine des sardanes, où les paroles clames, dans la ronde des bras levés et des pas comptés : « qu’on le veuille ou non, ce peuple est et sera toujours catalan ».
Une furia tellurique habite le peintre, qui vient des profondeurs de ce peuple imaginatif et visionnaire, poète jusque chez le pêcheur inventeur de monstres, capable à la fois du haut paganisme de Maillol et du mysticisme décharné de Dévôt Christ, ce peuple à odeur de bouc sacré qui enjambe la « montagne Pyrénée » comme une nymphe géante et qui regarde chaque matin, sans ciller, se lever le soleil sur la mer grecque.
Mentor a, de plus, été élevé dans la tradition d’une République qui n’a jamais eu le temps de s’épanouir, et qui a pris les armes de la liberté, au temps de Guernica. Il respire en poème de Machado, de Lorca et d’Eluard.
Et pourtant, c’est surtout la Fête, qu’exprime cette furia catalane, que celle-ci se traduise par des parades, foraines ou taurines, des jeux de cirque, des faces de clown, des bronchements de chevaux dressés, ou des fureurs charnelles, désir doré de la femme, en somme, le grand baroque quêteur du bonheur. Un certain Pan.
Cette violence sang et or caractérise un artiste dont tous les cadres craquent sous une pulsion qui dilate les espaces ou la réalité voudrait en vain l’enfermer, depuis la lithographie jusqu’aux murs les plus vastes, jamais assez grands. Chez Blasco Mentor, cette dimension passionnelle déborde les dimensions mesurables. Mentor est toujours plus grand que le cadre qui lui est donné.
La composition savante, musclée, ardente, suit cette violence interne et tente de la contrôler. La beauté naît ainsi de ce conflit permanent entre une puissance et une volonté et où l’organisateur – le Mentor – reste toujours à quelques degrés au-dessous de ce qui lui est dicté par le chant profond. Quant à la saveur, elle naît des blondeurs, des dorés, des rouges, du jeu des chauds, les maîtres, et les froids, les valets, d’une couleur fidèle au génie des tarots qu’on ne saurait dissocier de la matière de la matière tant elle se fond avec elle.
En un temps riche en bons peintres, mais où la force n’est l’apanage que de quelques-uns, , alors que foisonnent toutes les roueries de l’intelligence. Blasco Mentor, expressionniste de ses mythologies, a délimité son territoire où il exprime un fantastique panique, généreux et personnel, un des plus remarquables de la peinture contemporaine.

Jean MARCENAC, Journal d'Artcurial, 26 septembre 1975

ALTAMIRA II

À Mentor

J’entre ici pour m’enorgueillir

Du regard j’accomplis le rite de moi-même
Un mur cérémoniel illustre mon image
Dévoilant le miroir de l’homme en majesté
J’avance dans l’espace humain
J’avance vers le lieu de l’être
Aux signes que je fais l’avenir répondra

Je vous requiers ceux qui viendrez
Vous les lucides
Ouvrez les yeux et célébrez
Nous avions inventé le feu et la justice
Un limon de bonté fertilisait nos rêves
Notre sommeil a fécondé votre raison

Pénétrez après nous dans la caverne inaugurale
Nul dieu ne vous attend au détour du rocher
Ce sont parois tout simplement pour la mémoire et la promesse
Il n’est pas de mystère ici On parle haut
Mais
Donateur de ce tableau inachevé
Ton visage pourtant n’appartient qu’à demain
Qui tu seras peut seul nous dire qui tu es
Le peintre en s’en allant t’a légué l’arc-en-terre
Le secret vivant des couleurs
Inconnu c’est ton tour La nuit n’est pas finie
Pour que s’apaise enfin la poitrine des peuples
Couvre de jour le mur immense

Jean MARCENAC, 6 novembre 1968

Jean BOURET, Journal d'Artcurial, 26 septembre 1975

MENTOR, UN HUMANISTE CATALAN
C’est William Carlos Williams je crois, qui dans son « Autobiographie » écrit que « Rien ne peut pousser si les racines ne s’enfoncent pas dans le sol ». Un botaniste pourrait sans doute répondre que cette affirmation n’est pas exacte, car il y a des plantes sans racine, mais un observateur de la peinture et des peintres donnera raison à l’écrivain et j’en veux pour preuve Blasco Mentor et cette exposition qu’il nous donne aujourd’hui. Blasco Mentor est catalan. Il en a le type physique, la volubilité, le caractère et même parfois l’assurance qu’aucune autre région d’Espagne n’est supérieure à la sienne. Il est vrai que la Catalogne est une patrie à elle toute seule. Qu’elle a sa langue propre, et son histoire et que les gens de Madrid ont toujours eu du mal à la faire entrer dans la communauté.
La Catalogne eut de tous temps ses écrivains, ses poètes, ses peintres, ses sculpteurs et ses bâtisseurs de cathédrales. Elle pourrait à juste titre exciper de son autonomie, en reprenant à la République française un département ou deux car la culture y est originellement la même, mais il ne faut pas tenter le diable, et ces histoires d’autonomie sont parfaitement ridicules en notre siècle vingt.
De même la peinture de Mentor dépasse elle aussi les frontières, et le fait qu’il soit venu se fixer en France le prouve. Mais ce qu’il a garder par contre de ses origines c’est le sens du tragique profond de l’existence, qui ne saurait s’exprimer sans la fougue ni sans humour, le sens de la grandeur, l’amour du baroque, de l’or, du rouge, du bigarré, une crainte quasi superstitieuse de la mort, l’espoir du bonheur sur la terre et l’amour de la femme ; un amour bien physique, assorti d’un peu de dédain pour sa condition, mais cela va de soi.
Lorsqu’avant les vacances, je suis allé voir dans son atelier, proche du si triste hôpital Saint-Louis, les quinze immenses toiles qu’il venait d’achever, sur le thème de la corrida (il n’y a pas d’espagnol sans corrida puisque la corrida est la passion de tout espagnol catholique ou non) ; je me suis trouvé plongé dans un monde que je n’avais guère eu le temps d’explorer lorsque je le découvris vers mes vingt ans. Ortega y Gasset aidant. Comme chaque toile était accompagnée de ses études préliminaires, fragments, dessins, variations, le petit atelier devenait une sorte d’immense place au cœur d’une ville aussi grande et aussi peuplée que Barcelone, et les thèmes en jaillissaient comme jeux d’eau de fontaines.
Les thèmes étaient aussi bien des mythes : mythe de Don Juan, mythe de la réincarnation, mythes solaires, … que des légendes, des fables, des réflexions morales, des souvenirs de Don Quichotte, le regret du Siècle d’Or.
Encore fallait-il que ces thèmes soient exprimés de façon plastique, car il y a des qualités de peintres, ou de poètes, qui ont des idées, mais sont victimes de ces idées parce qu’ils n’ont pas le véhicule capable de les transporter.
Rien à craindre de semblable avec Blasco, il sait que si la poésie se fait avec des mots, la peinture se fait avec des couleurs contenues dans des formes équilibrées grâce à une composition que le dessin formule, et que tant que l’expression n’est pas parfaite le tableau n’existe pas. Dans l’abstrait c’est relativement facile d’atteindre à une harmonie plastique, mais dire plastiquement qu’une femme pense toujours à sa beauté, même si la corne du taureau qui effleure sa peau rend sa vie fragile, à l’instant même où elle se croyait protégée par le beau toréador en habit de lumière, ce n’est pas travail aisé.
Or tous les tableaux de Mentor expriment des idées de cet ordre.
Le peintre figure souvent sur le tableau, comme chez Vélasquez ou chez Goya ou chez Picasso imitant, il est parfois taureau, parfois toréador, parfois âne ou mulet, triomphant ou ridicule au rythme du ballet que lui joue la femme, et celle-ci est le personnage principal.
Je connais peu de peintres qui aient eu autant de possibilités de rendre la volupté du corps féminin que Blasco Mentor ; C’est un sujet qu’il sait parfaitement, comme il sait la couleur de la peau, le gras d’une épaule, l’alourdissement de l’âge, le capiteux d’un ventre, l’éloquence d’un sein un peu rond et un peu lourd. Cela c’est le résultat d’une quête par le dessin constamment recommencé, et l’expression des visages, volupté, vanité, veulerie (il ne leur passe rien, ce n’est pas un peintre mondain).
Tout cela dans l’enchantement des couleurs ! Il y a un ton général Mentor, c’est le blond doré rehaussé de carmin et apaisé de terres ocres, avec brusquement une fulgurance, car en bon espagnol il a l’attrait de l’or, de ce métal cher au baroquisme qu’il soit espagnol, italien, viennois, praguois. Jamais la moindre vulgarité, tout semble fondu, confondu comme si la lumière était toujours tamisée, et que l’éclat vienne de la chair même des choses. Pour le profane l’Espagne c’est le soleil, pour l’espagnol la lumière ne vient pas du soleil mais de son reflet dans l’ombre, ce qui explique peut-être qu’il n’y a pas d’impressionnisme espagnol ni de fauvisme. Je crains d’ailleurs de ne pas exprimer cela aussi subtilement que le peintre.
Il me faut quand même dire que ce que j’apprécie chez Mentor, c’est qu’il se soir attaché dans sa peinture et en-dehors de la peinture elle-même qui n’a pas besoin de mots pour convaincre, à ce grand sujet des rapports entre l’homme et la femme qui reste ce qu’il y a de primordial et d’essentiel dans l’humanité. Autrement dit, qu’il soit l’un de ces humanistes sans qui le monde n’est rien d’autre qu’un banal vase d’expansion biologique. Humaniste comme l’était Rembrandt et le Titien et Giorgione en d’autres siècles. La peinture qui ne parle qu’à l’œil n’est qu’un décor, c’est ce que notre siècle est malheureusement en train d’oublier.

Juliette DARLE, Journal d'Artcurial, 26 septembre 1975

DE MENTOR ET DES ARÈNES
Le romancier américain Ernest Hemingway et quelques-uns de ses amis le proclamaient voici plusieurs décades : « la vie est une fête ». Et voici que peinte par Blasco Mentor, la fête de la vie s’apparente à la corrida.
Il arrive qu’elle en prenne le mouvement, la tension tragique. Elle en garde la magnificence. Au soleil de l’atelier comme à celui des arènes, il semble qu’un poudroiement d’or communique à toute chose sa chaleur, son impondérable magie. Car cette œuvre existe d’abord comme apothéose d’une lumière inventée.
Pour notre surprise, d’insolites harmonies de verts ou de bleus viennent soudain rompre l’orchestration magistrale des rouges et des tonalités cuivrées. Et cette métamorphose première du monde qu’il suscite, éclate le raffinement du peintre. Sûr de se jeux chromatiques comme de la rigueur selon laquelle ses formes se meuvent, le visionnaire s’abandonne à ses fantasmes. C’est ainsi qu’il nous impose son univers singulier. Il cède à la tentation du symbole, à celle du baroque, à l’humour, à l’extravagance. Il n’a cure d’aucune mode, d’aucun tabou. Il affronte naturellement l’épopée, la fresque monumentale. Et tous les défits, concernant « l’anecdote », quelle ait nom bataille, cheval ou taureau, minotaure…
Le cercle des arènes s’ouvre sur des porches d’ombre où les protagonistes apparaissent ou s’éloignent dans leur costume qui fait rêver. Mais c’est dans l’espace courbe que viennent s’inscrire la vie et la mort alternées. L’allégorie y succède à la farce, le drame à la parodie légère. Etrange course à l’abîme, que celle du taureau sous le cheval mort qu’il emporte.
La nudité de la femme est pour Mentor un thème majeur, qui s’épanouit en contrepoint de la haute fantaisie vestimentaire, du goût des déguisements et des masques. La perfection d’un accessoire ou d’un instrument de musique fait parfois penser à quelque cristallisation du temps. La femme au contraire, en sa beauté native, fascine comme la vie elle-même, la grande force naturelle. Elle en a l’innocence, la souveraine réalité. Elle en recèle tous les pouvoirs, le mystère. Nulle tension n’altère son unité. Le mythe peut y reprendre souffle. Et renaître la légende. Sur un divan bleu dont les couleurs font à son corps une auréole, la femme intelligente, charnelle, merveilleuse décontraction, splendeur, saveur du sourire… Et devant elle, l’homme perché sur un tabouret, doit pour l’affronter revêtir une force d’emprunt. Est-il Thésée ou le Minotaure, le conquérant affublé d’un buste de taureau ? L’homme selon Blasco Mentor assume plus ou moins sa condition humaine. Tandis que la femme est l’Ariane moderne, faite pour la clarté du jour au-delà des labyrinthes. En elle prennent corps le rêve, l’émerveillement, toute beauté réelle ou mythique.
La présence de la femme règne sur l’atelier du peintre. De Vélasquez à Pablo Picasso, « le peintre et son modèle » n’ont cessé de stimuler l’imagination des artistes, de déchaîner leur verve, leur sens critique. Mentor revient périodiquement à ce genre d’autoportrait, à cette ironie salutaire. Le peintre interroge comme une énigme cette nudité plus belle que nature, et sa toile est devant lui comme un miroir sélectif où de curieuses transformations vont s’accomplir. Au-delà de ce duo toujours inconnu, la fenêtre s’ouvre sur l’envolée d’un paysage : Mentor y donne libre cours à son lyrisme à la fois ingénu et subtil.

Jean ROLLIN, Journal d'Artcurial, 26 septembre 1975

MENTOR AU PIED DU MUR
Qui ne verrait l’évolution intervenue dans la peinture de Mentor au cours des dernières années ? A d’autres de paresser, de s’ankyloser dans des formules toutes faites. Sans cesse Mentor s’interroge, sans cesse il remet en cause les réponses que, dans le miroir de la toile vierge, lui suggère un double exubérant et railleur dont il redoute il virtuosité. Car le vrai Mentor, c’est celui qui me confiait lors de sa précédente exposition, sur le cirque : « Le monde était une sorte de parade, il arrive à chacun de nous de s’affubler d’un masque qui dissimule sa personnalité, et sous le dehors des conventions sociales, ses soucis, son angoisse. Mon propos vise à révéler le déséquilibre entre le luxe factice des oripeaux et la qualité des hommes qui les portent, l’écart qui sépare la fiction de l’univers réel ».
Du cirque, Mentor vient de passer à la tauromachie, nouveau prétexte à traduire, sous une forme plastique, des intentions morales. Sur quarante toiles, quinze ne mesurent pas moins de deux mètres sur trois. C’étaient déjà les dimensions de deux compositions présentés en 1961 au musée Galliéra : Fandango et son tourbillon de danseuses qu’accompagne un chant venu du plus profond des âges ; Concert à la Maya et ses clowns musiciens occupés à charmer le sommeil d’une belle andalouse. Une poésie dionysiaque émane de ces tableaux qu’un troisième, Espagne 39, devait suivre un an plus tard, au Salon des Peintres Témoins de leur Temps sur l’Evénement. Relation d’un épisode sanglant de la guerre civile, Espagne 39, conservé au château-musée de Saint-Ouen, se signale par les qualités picturales, la « merveilleuse entente du pittoresque dans le grand », ainsi que l’écrivait Eugène Fromentin à propos du Martyre de saint Liévin, chef-d’oeuvre de Rubens.
A l’aise dans les vastes formats comme l’atteste également au Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis, son fulgurant Bombardement au Vietnam qui rappelle le mot de Delacroix : « Le terrible dans les arts est un don naturel comme celui de la grâce », Mentor n’a cessé de tendre vers la peinture monumentale, et cela dès le tableau qu’il consacrait naguère à Antonio Machado pour illustrer le pressentiment tragique du poète : « Quand je mourrai, je mourrai nu sur une plage comme le fils de la mer ». Mentor étai-il prédestiné à devenir l’héritier des muralistes romans de la Catalogne : le Maître inconnu de Saint Clément de Tahull, au style héroïque et puissant, le Maître de Pedret, aux figures harmonieuses et belles, En 1966, l’occasion allait lui être offerte de se surpasser en décorant la salle de conférence de la Maison du Peuple et de la Jeunesse Guy Môquet, à La Courneuve. Commande municipale, la Conquête du bonheur recouvre entièrement les murs, le plafond et le rideau de scène, soit une surface de plus de quatre cents mètres carrés. Le gros œuvre étant seul achevé, Mentor aurait pu peindre à fresque, comme les Anciens. Mais quel intérêt d’aller contre l’évolution logique de la technique picturale ? Même Michel Ange, qui considérait la peinture à l’huile comme « un art de femme, de gens fortunés et de fainéants » ne pu empêcher ses contemporains de travailler à l’huile ou à tempera. Et Vasari, malgré l’admiration qu’il vouait à l’art de la fresque, utilisa la peinture à l’huile pour exécuter avec ses élèves la décoration du Palazzo Vecchio à Florence.
En un siècle dont la première révolution picturale, le fauvisme, se fond sur l’exaltation des couleurs pures, Mentor n’avait aucune raison de renoncer à l’éclat et la variété de sa palette, que le recours à la fresque eût limités. Il ne pouvait, par contre, ignorer le soin qu’apportaient les peintres d’autrefois dans la façon d’accorder leur projet à la structure et la destination du monument qui leur était confié.
Il n’était pas question à La Courneuve, d’un simple jeu décoratif mais, comme aux grandes époques, dans un contexte social donné, de l’intégration des formes picturales et du discours idéologique à l’architecture. Qui profiterait de cette œuvre ? Un public de jeunes travailleurs, et pour beaucoup d’entre eux ce serait la découverte de la peinture. Sans renoncer à aucune des exigences plastiques sur lesquelles il n’est pas digne de ce nom, Mentor devait donc, de manière claire et concise, brosser une sorte de gigantesque bande narrative, populaire et épique, capable d’évoquer en images frappantes la lutte obstinée de notre espèce pour un avenir meilleur.
Mentor affirme avoir trouvé le rythme de la Conquête du bonheur en écoutant la Création du monde de Haydn. Né des arabesques charnelles du Chaos, l’homme émerge des ténèbres animales, prend conscience de la solidarité, capte le feu, renverse mille obstacles, dompte les forces de la nature. Puis il parvient à une contrée où les nourritures terrestres foisonnent ; de là les splendides natures mortes de fleurs, de fruits et de gibier, qui face à cette légende des siècles encadrent les portes-fenêtres. Le rideau de scène représente un bal, étape de joie sur la route du bonheur prolongée d’un bout à l’autre du plafond par la Ronde de l’Espace, qui annonce l’humanité triomphante de demain, maîtresse du ciel et des astres. Frappé par l’originalité de cette œuvre, Siqueiros estima qu’elle pourrait marquer le renouveau de la peinture murale dans notre pays. Mais en France, les artistes ne bénéficient pas, comme au Mexique, des conditions qui permirent à des créateurs comme Orozco, Rivera et Siqueiros d’occuper une place de premier plan dans le concert de la culture mondiale. Les crédits du 1%, limités et dévolus seulement à la décoration des bâtiments scolaires, n’ont guère engendré de réalisations d’envergure. Quant aux commandes publiques ou privées, elles sont trop rares pour que, dans un proche avenir, on puisse espérer, au bénéfice de la peinture murale, les résultats que Jean Lurçat et se disciples obtinrent en tapisserie. La Conquête du bonheur devait avoir une suite… A Milan.
En 1973, Mentor se vit confier par l’Union milanaise du Commerce et du Tourisme, une décoration de deux cents mètres carrés dans la salle des conférences, construite en sous-sol d’un bâtiment classé, le Palais Castiglione. Thème choisi par l’artiste, la Fête des amours de Mercure et de l’Abondance. L’architecte admit l’idée d’un mur total, décoré de haut en bas comme à La Courneuve, le plafond se situant en retrait. Mais alors qu’à la Maison du Peuple la peinture de toutes les surfaces provoque un circuit fermé et une perception totale, le spectateur idéal se trouvant placé au milieu de la salle, à Milan la scène est vue de face. Il s’agit d’un cortège qui se déroule de droite à gauche et de gauche à droite pour converger vers le couple Mercure-l’Abondance. Le défilé ne s’échelonne pas en profondeur, mais sur toute la hauteur du panneau pour provoquer l’impression de verticalité requise par la peinture murale. Afin de laisser circuler l’air, la décoration ne fut pas exécutée sur le mur même, mais sur une cloison de briques élevée à proximité de ce dernier, et revêtu d’un enduit de stuc très dur sur lequel on a marouflé la toile. Sage précaution qui préservera la peinture des infiltrations d’eau éventuelles. En Italie, après les inondations désastres survenues à Florence en 1966, les architectes sont payés pour savoir que l’humidité, montée du sol par capillarité, reste le fléau le plus menaçant pour leurs peintures.
Mercure, avec le chapeau et le caducée, ses emblèmes traditionnels, et l’Abondance, capiteuse créature digne des nus les plus sensuels de Mentor, sont allongés, à la manière antique, sur un lit d’où ils contemplent la cérémonie donnée en leur honneur. Il est difficile d’imaginer rythmes plus trépidants, couleurs plus chaleureuses que dans la cavalcade enthousiaste de ces guerriers richement vêtus et sans armes, de ces coursiers parés comme des idoles. Mentor excelle à faire jaillir la plénitude expressive de la simplicité des moyens qui est l’un des plus sûrs atouts de l’art monumental. A distance, la scène se déploie en une symphonie de couleurs lumineuses et sonores, orchestrées pour mettre en valeur les deux figures centrales, les autres personnages n’étant individualisés qu’en vue de concourir à l’harmonie de l’ensemble. Au fur et à mesure que le spectateur s’approche, la composition se dessine. Dans l’opulence et le raffinement des costumes, le harnachement somptueux des bêtes, une profusion de détails baroques apparaît. L’effet est prodigieux de vitalité et de puissance. On songe au « défilé de féerie » de Rimbaud : « des chars chargés de bois doré, des mâts et des toiles bariolées, , au grand galop de vingt chevaux de cirque tachetés, et les enfants et les hommes sur les bêtes les plus étonnantes ». Paix et félicité mêlées voilà bien la communicative confiance nécessaire à l’épanouissement du commerce.
Toujours à Milan, Mentor se prépare à décorer le hall d’entrée du siège social de Peugeot-Italie. Dans un style inspiré cette fois de la délicate ironie des miniatures persanes, le Seigneur Lion, sur un char entraîné par quatre pur-sang, symbolisera la vitesse.

Pierre MAZARS , Le Figaro, 27 septembre 1975

LE TRIOMPHE DE MENTOR
J’attendais avec curiosité le premier vernissage d’Artcurial, la grande galerie s’est ouverte en juin dernier avenue matignon. Le rez-de-chaussée est occupé par une librairie d’art, des salles consacrées aux lithographies, aux affiches, aux multiples, tandis que le premier étage, ordonné autour d’une reconstitution du salon de musique de Kandinsky, présente une sélection d’œuvres de l’impressionnisme à nos jours.
On a tout dit des intentions des organisateurs : mettre l’art à la portée du grand public, particulièrement du cadre moyen encore intimidé au seuil des galeries de la Rive droite, a fortiori, de la Rive gauche. Mais aucune galerie ne peut se borner à des accrochages composites tout au long de l’année. Un théâtre où on ne jouerait que le répertoire engendrerait la monotonie. Une scène a besoin de pièces nouvelles ; une galerie doit ouvrir ses cimaises à un artiste unique ou à une rétrospective. Mais les locaux d’Arcurial sont vastes et il faut qu’un peintre ait de la carrure pour se mesurer à cet espace. Dans quelques mois, nous reverrons Gromaire avenue Matignon. Cette semaine, c’est Blasco Mentor qui inaugure cette suite d’expositions et il triomphe très brillamment de cette épreuve.
D’abord parce qu’il a peint assez de toiles pour couvrir les murs, mais aussi parce que son style baroque, même quand il s’applique au paysage, anime l’austérité bien contemporaine des salles conçues par des designers. Ensuite parce que son œuvre, loin de se contenter de fins décoratives, nous fait accéder au monde de l’auteur. Seulement, contrairement aux peintres qui donnent l’impression de nous ouvrir leur crâne pour y contempler, comme une pendule démontée, le minuscule labyrinthe de leurs fantasmes, le tic-tac de leurs obsessions retours recommencées, Mentor n’a rien d’un introverti. Ce qu’il aime à regarder et qu’il nous donne à contempler n’appartient pas à l’imaginaire, c’est une piste circulaire éclaboussée de sciure de bois et de sang : le cirque et la plazza de toros. C’est aussi le tapis vert du jeu cerné par les personnages pareils à des rois de cartes. Une femme chevauche un cheval de manège forain et ressemble au cavalier d’un jeu d’échecs gigantesque. Les picadors, eux, montent des canassons de bois pour carnaval et le torero effondré dans l’arène est coiffé d’un mufle de taureau empaillé. Avec Mentor, la pompe des jeux du cirque vire au dérisoire. « Fastes d’enfer », comme disait Ghelderode à qui il s’apparente pour la verve caricaturale. Et on a raison aussi de le comparer à Fellini. Mais ce n’est qu’à un second examen que nous descendons à ces détails. L’œuvre a une sonorité fastueuse.
Je parlais de vernissage en commençant cette chronique. Celui d’Arcurial m’a rappelé les inaugurations de la galerie Charpentier dans les années 50, compte tenu de sensibles variations vestimentaires. Est-ce à dire qu’il faut à l’art son forum, sa salle des pas perdus ? J’ai bien cru assister au retour d’un rite social.

Brigitte de SAINT-AIGNAN , L'Amateur d'art, octobre 1975

Il fallait évidemment avoir aussi le soleil éclatant sur Paris pour aller voir la peinture très méditerranéenne de Mentor à la Galerie Artcurial.
C’est là une très, très belle exposition dans la galerie qui se prête à de grandes démonstration, comme c’est le cas avec Mentor. L’artiste est espagnol avec ce que cette origine implique de sensualité, de goût pour un certain baroque et pour le féerique. Mentor satisfait ce goût par une sorte de nécessité de maquiller, d’habiller la vérité.
Son expressionnisme s’exprime à travers des thèmes de fêtes et des sujets que l’on peut presque qualifier de mythologiques dans lesquels le taureau, réel ou figuré par un homme coiffé d’une tête de l’animal, joue un très grand rôle.
La peinture de Mentor est colorée mais la couleur est d’une richesse atténuée. Jamais de tons purs mais cette couleur sert au peintre pour suggérer la forme qui ne devient primordiale que lorsque la femme, toujours assez charnue, est le sujet de la toile.
Expressionnisme, baroque, sensualité. Cependant, derrière l’apparente spontanéité, on perçoit aisément le goût d’une rigueur de la construction. Tout cela fait de Mentor un peintre sensible aux différentes qualités exigées par une œuvre de grand talent.
Encore une fois, l’exposition d’un très grand intérêt d’un artiste de grande taille.

Presse Française, 3 octobre 1975

Mentor chez Artcurial
Blasco Mentor présente un ensemble considérable de toiles à la galerie Artcurial. Artiste fécond, brillant et subtil, ce Catalan est un superbe décorateur, il atteint au monumental avec une facilité déconcertante qui est un effet du grand art.
Ses immenses décorations, « La Conquête du Bonheur » à La Courneuve ou « La fête des Amours de Mercure et de l’Abondance » à l’Union Milanaise de Commerce et du Tourisme sont d’étonnantes et fécondes réussites en notre époque blasée et si souvent impuissante.
Ici, c’est sa série de toreros et de danseuses qui est le plus remarquable. C’est un feu d’artifice de trouvailles pittoresques et plastiques, surprenant par sa vitalité, son élan dynamique, ses harmonies tendres et acides, l’invention formelle d’une capricieuse et réjouissante richesse. Malgré leur charme, ses petites toiles lassent plus vite, peut-être ce puissant artiste abuse-t-il de ses dons en peignant trop et trop vite. Mais c’est là une des plus belles expositions de ce début de la saison artistique.

Monique DITTIÈRE, L'Aurore, 8 octobre 1975

MENTOR
Peinture baroque où le « Falstaff » de Shakespeare vient rejoindre le « Don Quichotte » de Cervantès.
Espagnol, Mentor choisit pour ses compositions monumentales le thème de la « corrida » : picadors, matadors, taureaux, Carmencitas, sont livrés à la cruelle imagination de l’artiste qui, pour en atténuer l’humour grinçant, a choisi de les parer des couleurs les plus tendres de sa palette.
C’est une des meilleures réalisations de Mentor qui nous convie ici à une fête somptueuse, cocasse, où le grotesque est traité avec bonne humeur et une vigueur gargantuesque.
Galerie Art Curial, 9, avenue Matignon, jusqu’au 30 octobre.

Jean ROLLIN, L'Humanité, 8 octobre 1975

La Minotauromachie de Mentor
Avec cent toiles, dont quinze mesurant chacune deux mètres sur trois, Artcurial présente la plus importante des expositions consacrées jusqu’ici à Mentor. L’événement mérite d’autant plus de retenir l’attention que, depuis dix ans, absorbé par des travaux de décoration monumentale, Mentor semblait s’être détourné de la peinture de chevalet. Il n’en était rien, mais au contact du mur sa manière s’est assouplie, son style a pris de l’ampleur. D’ailleurs, on conçoit mal comment l’expérience, acquise en réalisant des commandes aussi considérables que la Conquête du bonheur ((400 m2) à la Maison du Peuple à La Courneuve et la Fête des amours de mercure et de l’Abondance (200 m2) à la Chambre du Commerce de Milan, pourrait ne pas avoir d’influence sur un créateur dont l’évolution traduit la recherche constante de la plénitude et de la grandeur.
Des scènes paysannes de ses débuts à l’évolution terrible mais superbe d’un bombardement américain au Vietnam, Mentor s’est acheminé vers une expression riche de vertus plastiques et de pensée. Aujourd’hui, son exposition montre les résultats acquis dans un domaine que ce Catalan passionné et frondeur ne limite pas à l’arène choisie pour le théâtre des ébats de la corrida qui fut toujours, comme le cirque, , l’un de ses thèmes de prédilection. Mais à d’autres de ressasser Carmen. Par-delà, l’anecdote du spectacle sanglant et souvent galvaudé, c’est le mythe originel, la Minotauromachie que célèbre Mentor. Au toréador certain de sa victoire, il avoue préférer le taureau sûr de perdre. N’est-ce pas alors le patriote malheureux, le combattant de la République assassinée qui parle ? Seulement le Minotaure ne meurt que dans la légende. Chez Mentor comme dans Sueno y Mentira de Franco (« Songe et mensonge de Franco ») par Picasso, le taureau justicier symbolise l’héroïsme et l’espoir du peuple espagnol.
Le sens profond de la geste minotauromachique s’éclaire à la lumière de cette interprétation. Dans Fuite impossible, le Minotaure est poursuivi par un picador jusque dans les rues de la ville. Jugement : il n’y a en fait aucun jugement, mais exécution sommaire du prisonnier. Le bourreau dédie sa victoire à quelque orgueilleuse puta, figure de proue d’une foule en délire. Requiem : des chevaux traînent la victime pantelante hors de l’arène, sous les yeux des gens qui s’en vont, repus et indifférents. Homme se regardant dans un miroir : coiffé d’un mufle de taureau empaillé, le vainqueur d’un jour, gnome dérisoire, parade nu devant la belle qu’il essaye de séduire. Vains efforts ! Il est trop petit, et la fille le contemple avec ironie.
En conclusion, le crime ne paie pas. Ni les subterfuges du Photographe de l’autosatisfaction ni les mensonges d’une Parade carnavalesque ne parviendront à sauver le triste matadore du châtiment. Dans La Vengeance, le Minotaure a revêtu l’habit de lumière et se lance furieusement à l’assaut des picadors qu’il va tailler en pièces. L’un d’eux, rescapé, tente de compenser sa défaite en frappant un petit taureau à roulettes. Dérisoire Revanche…
Transfigurée par la richesse de la palette à bas de tons pastellisés que sillonnent des éclairs de carmin, de jaunes, safran et or, la corrida, chez Mentor, confine au drame, mais elle reste une fête de la peinture. « Jamais la moindre vulgarité, tout semble fondu, confondu, comme si la lumière était toujours tamisée et que l’éclat vienne de la chair même des choses », écrit Jean Bouret dans sa préface. Ces « choses » qu’en digne patriote de Cervantès, Goya et Gaudi, Mentor découvre à travers le prisme de l’imaginaire, composent un univers baroque alliant le grotesque et la grâce, les visions naïves ou perverses. Dans la tradition des Caprices, ce n’est pas à dénoncer les défauts particuliers, mais les vices d’une société avide de se détruire pour se renouveler que vise le peintre, et bien qu’entrelaçant les thèmes. Il désigne clairement les monstres que dans son pays, il y a quarante ans, le sommeil de la raison engendra.

La Croix, 29 septembre 1975

Une peinture puissante, réaliste et délirante qui met en scène un univers théâtral et romantique, fondu, comme voilé, dans des atmosphères laiteuses.

Jean-Paul CRESPELLE, France-Soir, 5 octobre 1975

Mentor, révélé après la Libération par la galerie Charpentier, refait surface après une longue absence, avec une série impressionnante de grandes toiles consacrées à la tauromachie fantastique. Son baroquisme exacerbé fait penser à celui de Fellini. On ne peut aller avec plus de verve et d’invention à l’encontre de l’art actuel. « Il faut aller contre l’avant-garde », conseillait Radiguet à Cocteau. Il semble que Mentor ait entendu le conseil : il y va avec un bonheur stupéfiant.

Bernard DUPLESSIS, L’Information dentaire, 16 octobre 1975

LA RENTRÉE DE MENTOR
Cette exposition était particulièrement attendue des amateurs : il y avait longtemps en effet que ce peintre, espagnol d’origine, n’avait pas exposé à Paris. Certes, on voyait une œuvre ou deux de Mentor dans certains Salons parisiens, on savait qu’à l’étranger des expositions lui étaient consacrées, mais on ignorait quelles «étaient ses recherches actuelles. On est maintenant édifié : une bonne quinzaine de très riches toiles consacrées à la tauromachie accueillent le visiteur dans cette Galerie aux dimensions américaines. L’humour, la démesure (celle de l’homme par rapport à ses ambitions) y éclate dans un feu d’artifice aux tonalités rouge et or. Des dessins, ébauches initiales de ces vastes surfaces, servent de transition à une seconde grande salle où des dizaines de toiles de plus modestes dimensions (mais cela va quand même des « 30 » aux « 10 ») continuent et illustrent le propos de l’artiste ; scènes foraines, scènes d’arènes où l’homme, le taureau, le cheval, la femme et la musique jouent ensemble ou séparément une partition haute en couleur.
Ce qui est singulier, c’est l’immense imagination de Mentor et la perfection de sa technique qui lui permettent de se jouer de toutes les situations, de tous les équilibres, de toutes les harmonies. Non seulement, c’est de la peinture, mais c’est de la grande peinture. On dirait que ce diable d’homme, par une synthèse fantastique, a su créer un style qu’on reconnaît au premier coup d’œil, où sont assemblées quelques-unes des directions empruntées par des maîtres de la peinture depuis Rembrandt, en passant par Modigliani, par Picasso et par Cottavoz. Et, cependant, Mentor ne leur doit rien. Il leur a juste emprunté dans un équilibre parfait, un accent, une attitude, un geste qui sont devenus un style, son style.
Les masques sont nombreux dans cette œuvre, souriante et grave tour à tour. Sans doute, parce que le peintre sait que nous abritons facilement derrière une façade et que si brutalement on nous arrache ce masque, un autre masque est déjà en place, tout aussi impassible que le sont d’ailleurs les visages féminins dont son œuvre fourmille et auxquels, selon notre humeur du moment, nous accordons grâce, ferveur, séduction, indifférence ou inimitié. C’est peu de dire que c’est une exposition à voir. En mesurant ses mots, il faudrait dire que c’est une exposition à ne pas manquer (un montage audiovisuel de très grande qualité complète cette présentation de toiles, en tout point remarquable).

Maurice TASSART, Carrefour, 9 octobre 1975

Mentor de « A » à « Z »
Le goût de Blasco Mentor pour la peinture monumentale n’est plus un mystère depuis qu’il a décoré le « Maison du Peuple » à La Courneuve, il y a près de 10 ans. « Qu’on me donne une cathédrale ! », s’écriait-il alors.
On ne l’a pas pris au mot, du moins pas encore, mais de grandes surfaces ont été mises à sa disposition dans des édifices profanes, notamment à Milan. Et la somptueuse galerie Artcurial (9, avenue Matignon) qui l’accueille maintenant, lui offre de vastes salles qu’il n’a eu aucune peine à garnir.
Dans la première sont réunies des toiles de plusieurs mètres carrés où grouillent les petites figures humaines et animales, voire des monstres hybrides, empruntés au folklore ibérique et à l’imagination de ses artistes : toros et toreros, opulentes « mayas » nues ou vêtues, chevaux et ânes, hommes déguisés en chevaux, peintres qui se prennent pour des taureaux et ânes qui se prennent pour des peintres. On pense évidemment à Goya et à Picasso, Espagnoles illustres entre tous, mais le graphisme, la couleur, la manière sont bien du Catalan Mentor.
Les mêmes thèmes se retrouvent dans des toiles plus petites, mais d eformat encore respectable, exécutées dans des tons plus vifs, plus contrastés. Et aussi dans de superbes dessins qui ont sans doute servi d’études pour les compositions à l’huile.
L’exposition nous révèle enfin un Mentor paysagiste, entièrement différent de son image de marque. Rien de moins hispanisant, de moins théâtral que ses jardins vides de tout personnage, qui se contentent d’étaler leur verdure sous le soleil méditerranéens. « Sol y sombra. » L’étonnante personnalité de l’artiste s’en trouve éclairée d’un jour nouveau.

L'Argus des Antiquités, octobre 1975

MENTOR
C’EST LA FÊTE !

Après un lancement spectaculaire au mois de mai dernier, la Galerie Artcurial poursuit dans deux directions sa politique d’ouverture vers un nouveau public d’amateurs d’art : offrir des œuvres conçues en fonction de leur multiplication, exposer les créations les plus significatives des grands artistes contemporains.
(…)
D’autre part, dans la perspective d’une plus large participation du public à la création contemporaine, c’est aujourd’hui le peintre espagnol Mentor (jusqu’au 31 octobre) qui est de la fête. Dans l’esprit des dirigeants d’Artcurial tout exposition doit être un choc exaltant, un événement, ou plutôt un avènement.
Et ça n’est pas par hasard que le comité de sélection a choisi Mentor pour célébrer cette fête des formes et des couleurs, cette fête empanachée dont l’inspiration baroque fait penser à Fellini.
Les toiles présentées sont inspirées par le thème du cirque, de la parade, du manège ou des fleurs à la fenêtre (car tels sont les titres des œuvres offertes à nos regards).
Mentor, pourquoi la fête ? Dans un remarquable petit livre édité à l’occasion de cette exposition, le peintre répond lui-même :
— La fête, c’est un peu le paradis perdu. Ce qui me plait dans la fête, ce sont les gestes des hommes. Ce ne sont pas des gestes de travail, mais de délassement. C’est un peu l’effort de l’homme pour exprimer ce qu’il ne peut pas dire.
Enfin, des séances audio-visuelles avec discussion en présence de l’artiste, complètent cette fête de Mentor à la Galerie Artcurial.

Jean DALEVÈZE, Les Nouvelles Littéraires, 12 octobre 1975

Bas les masques!
Quelle Etrange et prodigieuse comédie Blasco Mentor met en scène, grouillante, débordande de vie et de sève, d’une invention mille fois renouvelée, cocasse, burlesque, grave sous le masque de la dérision, sensuelle, rouge et or, vie et mort, dont les « cents actes divers » se déroulent aux cimaises d’Artcurial.
Voici la première exposition de cet énorme « complexe » du marché de l’art récemment inauguré avenue Matignon. Nous y verrons Gromaire dans quelques mois. Aujourd’hui, l’immense arène est livrée aux jeux enchantés du bouillant catalan, du Barcelonais Mentor, trompeur d’apparences, maître dans l’art de la mascarade. Le hasard est parfois plus raisonnable qu’il pourrait y paraître : ici, en rapprochant les deux noms de Gromaire et de Mentor. Bien sur, les visiteurs de l’actuelle exposition hausseront les épaules en disant « Rien de commun ». Et ils auront parfaitement raison. Mais il n’empêche qu’il y a vingt ou vingt-cinq ans, alors que l’Espagnol montrait ses premières toiles à Paris, elles n’étaient pas sans devoir quelque chose au maître du nord de la France. Mentor était bien jeune encore, et pourtant s’affirmait déjà ; depuis, il a trouvé son langage personnel, son univers bien à lui.
Certains ne manqueront sans doute pas de le rapprocher de celui d’Ensor, trop cruel, de Ghelderode, sentant trop le soufre. Il aurait, me semble-t-il, plus de points communs avec celui de son compatriote le poète et dramaturge Valle Inclan, si son théâtre n’était pas aussi noir. Et puis, ce sont là, sans aucun doute, jeux assez vains. De toute manière, le monde de Mentor, où la femme parfaitement charnelle, faite pour les caresses et ‘amour, directement sensuelle, règle indiscutablement, est de santé beaucoup trop pleine pour contenir quelque fantasme nocturne. Ici, tout est en pleine lumière.
Surtout, Mentor est peintre, et s’exprimant en peintre appartient au domaine de la plastique. Seulement, figuratif, et bien que peignant avant tout un tableau, c’est-à-dire une œuvre picturale, il nous montre des images. Elles sont là, et par ce qu’elles disent, par les actions qu’elles décrivent, elles ajoutent au plaisir de l’œil qu’elles nous donnent, les spectacles qu’elles recréent. C’est là, bien évidemment, une supériorité de l’art qui fait voir sur celui qui se contente de suggérer, se refusant à créer un monde que l’on puisse appréhender.
Celui de Mentor, du cirque et de la corrida, nous conte sur le mode des métamorphoses bouffonnes, des fables aux symboles transparents. Le taureau, les hommes qui s’affublent de têtes de taureaux, bien sûr, c’est la virilité. Et tout se joue ici entre la virilité et la féminité, entre la vie, aussi, et la mort, même si elle paraît dérisoire, même si les couleurs tendres raffinées et subtiles lui enlèvent son horreur. Il y a de la gravité dans ces parodies de corridas. Enlevez les masques et voilà qu’apparaissent les véritables visages, le véritable sérieux de jeux apparemment parodiques.
Il y a quelque chose de confondant dans cette abondance de toiles et de remarquables dessins qui vous cernent de toute part dans l’exposition ; Travail de deux ans, dit le peintre. Il faut un bien grand pouvoir créateur, une impressionnante puissance de travail pour parvenir à cela. Quinze des toiles montrées mesurent quelques deux mètres sur trois. Nous reconnaissons là le goût de l’artiste pour le monumental. Deux de ses réussites les plus incontestables ne sont-elles pas la décoration, La Conquête du bonheur, pour la maison des jeunes de La Courneuve, quatre cents mètres carrés de peinture, et, plus récemment, La Fête des amours de Mercure et de l’Abondance, qu’il réalisa au palais Castiglione de Milan ?
Nous savions depuis longtemps que Mentor était un des meilleurs peintres de sa génération. Son actuelle exposition prend une allure de consécration.

Jean DALEVÈZE, La Tribune des Nations, 24 octobre 1975

À travers les galeries
Le nouveau « complexe » artistique « Artcurial », qui ouvrait ses portes il y a quelques mois, inaugure son cycle d’expositions temporaires en montrant les dernières toiles de Mentor. C’est là une heureuse idée et un bon choix. Blasco Mentor, catalan de Barcelone fixé en France depuis la fin de la guerre d’Espagne, est certainement l’un des peintres les plus intéressant actuellement, et l’un de ceux qui ont le plus de souffle.
Il présente là le travail de deux ans, dit-il, qui en aurait bien demandé sept ou huit à un autre. On reste confondu devant une telle abondance, une telle générosité. Il aime les vastes surface et ne s’en prive pas, présentant entre autres une quinzaine de très grandes toiles sur le thème de la corrida, jeu du taureau et de l’homme, de la vie et de la mort. Mais sous le prétexte de cet affrontement entre l’homme et le fauve, cher au cœur des Espagnols, c’est à une étrange comédie que Mentor nous fait assister, bouffonne, aux mille rebondissements, pleine d’inventions, où le corps nu, voluptueux et tentant de la femme joue un rôle important. Mais sous le masque, il se pourrait bien que ce qu’il nous dit soit plus grave qu’il n’y paraît. Son compatriote Cervantès, lui aussi, se servait bien de la farce pour faire entendre des véristes sérieuses.
Mais s’il est homme d’imagination, poète, Mentor est d’abord un peintre, et c’est en peintre qu’il s’exprime. Les images qu’il nous montre ajoutent seulement la satisfaction de l’esprit à celle de l’œil. Il ne privilégie jamais celui-là au détriment de celui-ci. Ses toiles sont d’abord de la peinture, et de la bonne. (…)

Denis TASSART, L'ÉCONOMIE, 20 octobre 1975

Mentor
Ce Catalan s’est lui aussi illustré dans la peinture monumentale (peinture murale de 400 m2 pour la Maison des jeunes de la Courneuve). Les œuvres qu’il expose actuellement (2) sont également de formats respectables, ce qui laisse jamais indifférent le visiteur, frappé par la minutie de l’exécution. La tauromachie est le thème dominant de cette exposition, permettant à Mentor d’exercer son prodigieux talent pour les couleurs, les formes, les volumes et les superpositions des plans.
(2) Artcurial, 9, avenue Matignon 75008 Paris, jusqu’au 30 octobre.

René BAROTTE, Sud-Ouest, 26 octobre 1975

Solitude et grandeur de Mentor
La magnifique exposition d’un artiste de 56 ans, l’Espagnol Blasco Mentor, dans cette jeune galerie de l’avenue Matignon, révèle tout ce qu’il y a de fascinant dans les recherches, déjà longues, de celui qui, contre vents et marées, domine par sa force triomphante tout ce qu’il peut y avoir d’évanescent dans certaines formes d’expression de la jeune école contemporaine.
Il nous est offert ici, en avant-première parisienne, une grande partie des toiles que Mentor se propose, l’an prochain, d’exposer au Palazzio Reale de Milan.
D’un tempérament enthousiaste, le peintre, que célèbrent avec une même ferveur des écrivains tels que Armand Lanoux, de l’Académie française, Jean Bouret, Jean Rollin, Juliette Darle, met dans son art cette poésie, ce sens du baroque, ce don de mêler si souvent la douleur et la joie, qu’il doit aux plus grands artistes catalans, ses pairs, et aussi à sa communion incessante avec Garcia Lorca son dieu.
Lanoux nous montre que Mentor est sans cesse en quête du bonheur. Ce bonheur d’une grande intensité affective éclate dans la suite de ses fêtes colorées, mais on le trouve aussi bien dans d’immenses compositions murales, dont l’une de 400 mètres carrés a été réalisée pour la Maison des jeunes de La Courneuve, une autre pour l’Union du commerce et du tourisme de Milan. Alors il rapproche tout un monde de personnages éternels dans une richesse de palette et aussi ce sens du fantastique qu’un Jérôme Bosch ou d’un James Ensor, passionnés comme Mentor par la foule, n’eussent pas désavoués.
une joie plus discrète se retrouve aussi bien dans les paysages du Midi que dans des fleurs fraîchement coupées. Il m’est arrivé, comme à beaucoup d’entre nous, de le regarder peindre et, lâchant parfois sa palette, parlant aussi bien avec son regard profond qu’avec ses belles mains aux gestes tumultueux, de retracer, pour nous, les grandes lignes de sa vie.
Mentor reconnaît qu’il est né sous une bonne étoile. Il n’a pas souffert du barrage paternel qui a tant gêné un Manet ou un Cézanne.
Son émotion demeure profonde quand il évoque la compréhension de ce père qui ; dit-il, « était à la fois wagnérien, romanesque et par-dessus tout libéral ».
Né à Barcelone en 1919, son premier maître fut un Allemand dessinateur médical et spécialiste de l’œil. Il prépara avec succès l’école centrale des Beaux-Arts, où il demeura jusqu’en 1936, possédant un atelier dans le quartier chinois si riche en couleur, de Barcelone, c’est là sans doute qu’il prit le goût des tons chauds et des foules bigarrées.
Quand il arriva en France, il avait été mûri par la souffrance, il avait connu la révolution et plus tard la Résistance.
Je fis partie du jury où, an 1953, au prix de la critique, Mentor fut déclaré hors concours pour l’étrange beauté des dessins qu’il montrait. D’un naturel timide, il demanda à George Besson ce qu’il pensait de ses envois. Notre inoubliable confrère, qui a laissé à notre pays une admirable collection lentement acquise de ses deniers et qui a « sorti » tant d’artistes authentiques, répondit d’un ton renfrogné : « Cela ne me concerne pas ! » Mais par la plume du même écrivain, alors critique des « Lettres françaises », Mentor apprit dès le lendemain, non sans surprise, que ce dernier le considérait comme l’un des dessinateurs les plus importants de notre époque.
Ce fut pour l’artiste le point de départ d’une ascension qui s’est confirmée au palais Galliera en 1966 par le prix des peintres témoins de leur temps, destiné à glorifier l’ensemble de son œuvre. Il a par ailleurs décoré avec succès des paquebots comme le « Mermoz », illustré de nombreux livres parmi lesquels « les Amours d’Ovide », repris un peu hors du temps des thèmes du passé avec ce perpétuel souci d’associer la richesse de sa vie intérieure à celle de l’univers visible sans cesse « repensé ».
Depuis toujours, Mentor est resté attaché à trois sujets de prédilection : la femme, le clown et la tauromachie. Tantôt il pense à la beauté du corps féminin avec un grand souci de construction et un besoin de renouveler toujours une beauté qui pour lui est éternelle ; Ses clowns – sans rien devoir à ceux de Drouault – laissent eux aussi directement ressentir leur drame psychologique.
Mentor, dont le génie est plus calme que celui du maître de Vallauris, est aussi très différent de Picasso. Il ne « joue jamais avec la peinture » pour le seul plaisir de jouer. Il apporte de la corrida une conception toute nouvelle. Le taureau a toutes les sympathies. Il n’est pas toujours la victime. La victoire du torero n’est pas forcément assurée.
Comme Jean Bouret, j’aime la gamme bien équilibrée de ses tons chauds. Je pense comme ce critique et poète mon ami « qu’il fait bon vivre avec Mentor. Avec lui on rêve derrière les persiennes ; Le soleil ne se couchera pas ce soir ! »

Valeurs actuelles, 13 octobre 1975

MENTOR
Barcelonais, Mentor s’est toujours tenu à l’écart du « misérabilisme » qui a affecté la peinture pendant plusieurs décennies. Il se réfère au contraire à une tradition d’opulence picturale à laquelle le surréalisme figuratif a ajouté sa richesse imaginative. Par leur agencement, ses compositions relèvent autant de l’art théâtral que de l’onirisme.

Edgar SCHNEIDER, Jour de France, 21 octobre 1975

MENTOR : À NE PAS MANQUER
C’est bien à une révolution que s’apprête cette nouvelle galerie pas comme les autres. La surprise vous guette à tous les étages. Dans la galerie marchande du rez-de-chaussée, 4 000 volumes portant sur l’art du XXe siècle vous sont proposés, ainsi qu’une centaine de revues du monde entier. On peut soit les consulter, soit les acheter ; Les étages sont consacrés à de multiples expositions, classiques au départ, avec de merveilleux impressionnistes, et de plus en plus résolument contemporains avec Kandinsky, Berrocal, Bezombes, Schöffer, Takis, et une extraordinaire sélection des œuvres monumentales de Mentor, certainement unique au monde. A ne manquer sous aucun prétexte. Un équipement audiovisuel perfectionné permet de faire très agréablement, plus ample connaissance avec Mentor, puisque, filmé dans sa merveilleuse maison de Provence, il commente lui-même son œuvre et sa philosophie de l’art et de la vie. C’est là peut-être que j’ai le mieux senti les ambitions d’Artcurial : faire d’une galerie un spectacle vivant, dégagé de tout ésotérisme, et, surtout, libéré de toute forme de snobisme, si ce n’est le snobisme enrichissant qui consiste à devenir un habitué de l’endroit. On entre à Artcurial comme on va voir un film, pour découvrir et se délasser. Avec la différence que c’est gratuit !

La Galerie, novembre 1975

La mort, le désir, la violence, l’espoir, le bonheur, la dérision, l’intransigeance, le délire, la rigueur et le baroque : Mentor.
Un Don Quichotte capiteux, un Sancho humoriste, un amoureux passionné de la vie, un observateur impitoyable ; il y a tout cela dans le peintre de la volupté et du tragique, qui a peint la corrida, pour mettre en habit de lumière les mythes qui exaltent son âme catalane : les dieux solaires, la grandeur, et la femme ; Mais la peinture, plus que le dire, est le faire. Il a trouvé la veine de l’or dans ses tableaux, l’or marié au carmin du sang et à l’ocre de la terre, qui donne à son œuvre une blondeur – Mentor, mais tout son art vit aux dimensions du monumental. Il est fulgurance, excès, puissance, de la grande tradition des muralistes qui leur a fait jadis tracer d’un souffle cette « conquête du bonheur », qui étale ses rythmes dionysiaques sur les 400 mètres de la Maison du peule, à La Courneuve.
Ses corridas – qui auraient pu être terribles, comme dans son « Bombardement du Vietnam. » - sont souvent sarcastiques, piquantes, clownesques, truculentes. J’en retiens le raffinement et l’opulence – pour tout dire la féerie dans le gigantisme, une vision plastique, éclaboussante, dont l’harmonie a le charme des symphonies de Haydn.